SOS MEDITERRANEE inquiète des évolutions du contexte d’intervention en Méditerranée centrale
26 janvier 2023

Depuis fin décembre, les navires humanitaires se voient attribuer des ports de débarquement très rapidement après avoir secouru une embarcation en détresse mais dans des ports extrêmement éloignés. En ce début 2023, alors que l’Italie adopte un décret visant les ONG de sauvetage, les autorités maritimes semblent se conformer à un nouveau modus operandi qui fait craindre de graves conséquences pour les personnes naufragées.

Sauvetage à risque de 95 personnes, dont 20 femmes et 38 mineurs, ce mercredi 26 janvier, en présence des garde-côtes libyens qui ont effectué des manœuvres dangereuses pour la sécurité des équipes et des rescapé.e.s. Crédits Photo : Nissim Gasteli / SOS MEDITERRANEE

95 personnes secourues le 25 janvier, quatre disparues

Ce mercredi 25 janvier, l’Ocean Viking a secouru 95 personnes d’une embarcation pneumatique surchargée dans les eaux internationales au large de la Libye, à la suite d’une alerte de détresse relayée par l’avion Seabird 2. Arrivés sur les lieux pendant le sauvetage, les garde-côtes libyens ont alors effectué diverses manœuvres dangereuses, mettant en péril la sécurité des équipes et des personnes rescapées. Heureusement, elles ont toutes pu être évacuées vers notre navire ; cependant certaines d’entre elles ont ensuite signalé qu’au moins quatre personnes étaient tombées à l’eau avant notre arrivée. Les équipes de l’Ocean Viking ont procédé à leur recherche durant de longues heures, en vain. Les deux patrouilleurs libyens présents sur zone sont de leur côté repartis sans répondre à nos demandes de soutien pour retrouver les personnes disparues. Parmi les personnes survivantes, on compte 20 femmes (15 adultes, 5 mineures) et 38 mineurs dont 33 non accompagnés.

Le port de Carrare, à plusieurs jours de navigation de la zone de sauvetage, a par la suite été désigné à l’Ocean Viking qui fait route vers cette destination.

Un décret de la présidence italienne visant les ONG

Le 2 janvier 2023, un nouveau décret sur les « dispositions urgentes pour la gestion des flux migratoires » a été signé par la présidence italienne afin de fixer les conditions selon lesquelles les navires de recherche et de sauvetage des ONG peuvent être considérés « conformes » aux conventions maritimes internationales et de réglementer encore davantage leur entrée dans les eaux territoriales italiennes.

Le plus jeune des rescapé.e.s secouru.e.s le 27 décembre dernier avait à peine deux semaines. Il a été débarqué le 31 décembre à Ravenne, à 1500 km du lieu de son sauvetage. Photo : Michael Bunel / SOS MEDITERRANEE

En parallèle de ce décret, les autorités maritimes italiennes ont changé leurs pratiques d’attribution de ports pour débarquer les rescapé.e.s. Depuis la fin décembre 2022, les navires humanitaires, habituellement soumis à de longues attentes avant qu’un centre de coordination des sauvetages ne leur désigne un port sûr, se sont vu assigner un port de débarquement immédiatement après leur premier sauvetage. Du jamais vu depuis 2018.

Cette rapidité représente une avancée par rapport à des semaines d’angoisse sans aucune perspective de débarquement pour les rescapé.e.s, mais elle pose le problème de la distance des ports attribués, dans les deux derniers cas, à plus de 1 500 kilomètres de la zone de sauvetage. Ainsi lors des sauvetages de l’Ocean Viking les 27 décembre 2022 et 7 janvier 2023, le port désigné se trouvait aux confins de la mer Adriatique : Ravenne pour le premier et Ancône pour le second. Les autres navires humanitaires opérant ces dernières semaines ont vu un scénario semblable se répéter.

Illustration des trois allers-retours depuis la zone de sauvetage nécessaires à l’Ocean Viking pour se rendre au port de Ravenne pour débarquer 113 personnes secourues le 27 décembre 2022 (trajet orange), celui d’Ancône pour débarquer 37 personnes secourues le 7 janvier (trajet blanc) et au port de Carrare pour débarquer 96 personnes secourues le 25 janvier 2023 (trajet marine). Note : Trajets approximatifs pour fin d’illustration

Risques de naufrages mortels en l’absence de navires humanitaires 

« En 2022, l’Ocean Viking a effectué en moyenne cinq à six opérations de sauvetage par mission, secourant près de 300 personnes à chaque fois. Lors des deux dernières missions, où les autorités italiennes ont instruit immédiatement l’Ocean Viking d’aller débarquer les personnes secourues dès le premier sauvetage, SOS MEDITERRANEE n’a effectué qu’un seul sauvetage par mission, avec une moyenne de 75 personnes à bord » relate Sophie Beau, co-fondatrice et directrice de SOS MEDITERRANEE.

Les navires d’ONG sont ainsi éloignés de la zone d’opération en Méditerranée centrale, alors même que les moyens de sauvetage y font cruellement défaut.

Plus de trente-cinq personnes sont décédées en mer Méditerranée centrale lors de différents naufrages depuis le début de l’année 2023, selon l’Organisation internationale pour les migrations.

Hausse des coûts d’opération et conséquences sur la protection des personnes rescapées à bord 

Dans ces conditions, alors que les navires comme l’Ocean Viking sont déjà durement impactés par la hausse du prix du fioul qui a presque doublé en 2022, l’augmentation des distances parcourues aggrave encore la situation financière des ONG.

Par ailleurs, ces longs trajets exposent les hommes, les femmes et les enfants secouru.e.s par les navires des ONG à des risques accrus liés aux conditions météorologiques défavorables. Cela dégrade encore leur état de santé après des traversées éprouvantes, avant de pouvoir enfin débarquer sur la terre ferme.

Ainsi, les 37 personnes secourues le 7 janvier par l’Ocean Viking, dont certains souffraient déjà de brûlures cutanées graves, d’intoxications au fuel et des traumatismes du séjour en Libye et de la traversée, ont en plus dû affronter une tempête avec des vents de 40 nœuds et des vagues de six mètres. La passerelle avait pourtant alerté les autorités maritimes italiennes de la situation et demandé la désignation d’un lieu sûr plus proche, sans succès. Durant plusieurs jours sur le trajet vers Ancône, équipages et rescapé.e.s ont alors été soumis à des éléments déchaînés et malgré la prise de médication, la quasi-totalité a souffert du mal de mer, affaiblissant encore les plus vulnérables.

Alors que les moyens de sauvetage européens font toujours défaut en Méditerranée centrale, SOS MEDITERRANEE s’inquiète de l’impact de ces dernières évolutions sur les risques de naufrage et la santé des personnes secourues.

Photo d ’illustration : Kevin Mc Elvaney / SOS MEDITERRANEE

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